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Intégration : le modèle français est-il en panne ?

9 Février 2014 , Rédigé par mazagan

http://www.lemonde.fr/societe/chat/2007/01/29/integration-le-modele-francais-est-il-en-panne_860804_3224.html

 

Intégration : le modèle français est-il en panne ?
Blandine Kriegel, présidente du Haut Conseil de l'Intégration, le mardi 30 janvier 2007
Le Monde.fr | 30.01.2007 à 12h13 • Mis à jour le 30.01.2007 à 13h14
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L'intégralité du débat avec Blandine Kriegel, présidente du Haut Conseil de l'Intégration, mardi 30 janvier 2007

Sanae : Une nouvelle législation sur les signes religieux n'est-elle pas l'illustration du retard de la France dans l'acceptation de la diversité culturelle quand on sait que partout ailleurs dans le monde les croyants, pratiquants ou non, sont acceptés et participent comme n'importe quel autre citoyen à la vie de la cité ? Combien de temps encore la France va-t-elle continuer à refuser de voir que le multiculturalisme est la plus grande des richesses ?  
Blandine Kriegel : D'accord, le multiculturalisme est la plus grande des richesses et nous en sommes très fiers. Pour autant, cela ne signifie pas nécessairement le communautarisme.  
Pour permettre à plusieurs cultures, à plusieurs religions de vivre ensemble, dans le respect mutuel, nous avons inventé dans le passé la laïcité, c'est-à-dire une redéfinition des rapports de l'espace public et des Eglises que beaucoup nous envient aujourd'hui.  
Qu'est-ce que la laïcité ? Tout simplement la neutralité de l'espace public qui permet à une pluralité de croyances et à une multiplicité de citoyens ayant des croyances différentes de vivre ensemble de façon tolérante et respectueuse les uns des autres.  
La laïcité a été inscrite dans nos lois. Ces lois n'empêchent nullement les croyances religieuses, c'est tout l'inverse, puisque l'article I de la loi de 1905 dit que "la République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes tandis qu'elle ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte". Autrement dit, la laïcité ne demande qu'une chose, c'est que dans l'espace public, la neutralité, l'absence de prosélytisme soient respectées. 
Aujourd'hui, la Cour européenne des droits de l'homme de même qu'un certain nombre de pays tels le Royaume-Uni et les Pays-Bas, qui ont enregistré les effets négatifs du communautarisme, se rapprochent volontiers du modèle français de laïcité.  
Rdu : Pourriez-vous me dire, s'il vous plaît, pourquoi les textes actuels ne suffisent pas ? Le problème ne réside-t-il pas dans la faiblesse de l'Etat quant à l'application des lois existantes ?  
Blandine Kriegel : Il est vrai, les textes existent, mais nous nous heurtons à deux problèmes. Le premier, c'est d'abord de les faire connaître. En France, nul n'est censé ignoré la loi. Il importe donc de la mettre à disposition d'une façon simple de tous ceux qu'elle concerne. Il s'agit d'un problème pédagogique : afficher les textes n'est pas inutile.  
Le second problème est que des principes d'égale valeur peuvent entrer en conflit. Exemple : la liberté de conscience d'un côté (la liberté religieuse) et la protection des droits égaux des individus, par exemple l'égalité entre hommes et femmes. Il faut alors trouver une cote bien ajustée pour concilier ces principes. De là, l'intérêt d'une charte qui rappelle les règles et débrouille les problèmes lorsque ces règles peuvent conduire à des appréciations conflictuelles.  
Vincent : L'intégration est-elle plus facile à Paris que dans les villes moyennes de province ?  
Blandine Kriegel : Dans l'avis que nous avons remis au premier ministre, sur la comparaison des politiques d'intégration en Europe, nous avons été frappés par une exception française qui n'est peut-être pas la plus performante : notre politique d'intégration est beaucoup moins décentralisée que chez nos voisins ; et en particulier les moyens budgétaires mis à la disposition des localités et des territoires sont assujettis à des décisions centrales.  
C'est pourquoi le Haut Conseil a recommandé d'assurer une meilleure territorialisation de la politique d'intégration, et notamment une procédure d'enregistrement local des migrants ouvrant des subventions aux collectivités, comme cela se fait en Espagne.  
Ajoutons que nous sommes extrêmement conscients, en ce qui concerne la laïcité, d'une disparité de situations entre les différents services publics, ou entre les services publics à Paris et en province. C'est pourquoi nous recommandons qu'à la suite d'un dialogue entre agents et usagers, cette charte soit précisée et détaillée sur le terrain. Nous savons par exemple que les problèmes sont plus présents dans les maternités, dans les prisons, dans les services d'urgence parce que des décisions doivent être prises immédiatement. 

Lechat : Comment séparer laïcité et islamophobie ? On a l'impression que toutes les discussions actuelles sur la laïcité sont spécifiquement dirigées contre les musulmans...  
Blandine Kriegel : Nous avons veillé avec un soin scrupuleux à ce qu'aucune communauté ne puisse se sentir discriminée d'une quelconque façon. La laïcité est une exigence de neutralité qui est valable pour les citoyens de toutes les confessions. Je rappelle qu'elle exige non seulement, pour les agents de services publics, la neutralité mais aussi, comme on l'oublie trop souvent, le "traitement égal de tous les individus et le respect de la liberté de conscience"

Ajoutons que si les usagers du service public doivent s'abstenir de prosélytisme ou ne peuvent à raison de leurs convictions récuser un agent public ou un usager, ils ont parfaitement le droit d'exprimer leurs convitions religieuses dans les limites de respect de cette neutralité.  
Ajoutons encore que lorsque les usagers du service public sont accueillis à temps complet dans un service public – hospitalier, militaire, pénitentiaire –, ils doivent voir leurs croyances respectées, ils doivent être mis en mesure de participer à l'exercice de leurs cultes.
Ce projet de charte a été rédigé par le Haut Conseil à l'intégration, qui comprend une diversité de personnalités, de toutes croyances, de toutes confessions, de toutes professions.  
Platon22 : Pensez-vous que la "discrimination positive" soit un moyen efficace de favoriser l'intégration ?   
Blandine Kriegel : Cela dépend du sens que l'on donne à la "discrimination positive", qui est très polysémique. La position du Haut Conseil peut se résumer très simplement : nous estimons que les politiques d'intégration doivent faire un effort beaucoup plus vigoureux pour la reconnaissance de la diversité, qui doit devenir la règle et non demeurer l'exception. Mais dans le respect des principes républicains.  
Ce qui signifie que nous n'avons pas besoin, comme l'ont fait les pays qui avaient inscrit la ségrégation, l'apartheid, la discrimination des groupes entiers à raison de leurs origines ethniques, de changer notre loi, qui, à l'opposé, garantit aux citoyens "l'égalité devant la loi sans distinction d'origine, de race ou de religion et respecte toutes les croyances".  
Notre problème est plutôt inverse, il est de faire appliquer cette loi... souvent transgressée par des discriminations négatives ! Comment y parvenir ? Très simplement en sanctionnant les discriminations négatives, c'est le rôle de la Halde [Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité], en évaluant la diversité comme nous le recommandons, c'est-à-dire par des recherches sur le patronyme et le lieu de naissance parfaitement compatibles avec notre droit constitutionnel.  
Et surtout, en manifestant une volonté politique sans faille de remplir la promesse de la République d'accès égal aux droits pour tous ses citoyens. Un exemple : pour instaurer la diversité culturelle dans l'audiovisuel, en finir avec les "écrans pâles", il a suffi, comme l'a voulu le Haut Conseil, d'organiser une rencontre nationale entre les dirigeants des chaînes audiovisuelles, les responsables des autorités publiques, de leur demander raison de l'absence de diversité constatée, de mettre en place un cahier des charges pour que le paysage audiovisuel soit transformé. C'est ce qu'il faut faire dans tous les domaines.  
Nexus : Où en est le projet du CV anonyme ? Y êtes-vous favorable ?
Blandine Kriegel :  Nous sommes parfaitement favorables au CV anonyme. Il a été, je crois, recommandé par la Halde, qui peut-être est plus spécialisée sur la question que nous ne le sommes.  
Kirikou : Selon vous, pourquoi les minorités visibles de France n'ont-elles pas d'élus à l'Assemblée nationale ? Les partis politiques sont-ils "mixophobes" ?  
Blandine Kriegel : Merci de cette question dont nous nous sommes saisis avec toute l'indignation que doit susciter la situation présente. La France ne brille déjà pas par l'égalité des sexes représentés au Parlement. Mais la représentation de la diversité est carrément honteuse au Parlement car, à l'exception des DOM-TOM, il n'y a aujourd'hui aucun député à l'Assemblée nationale issu de la diversité.  
Nous sommes tellement conscients que cette situation est scandaleuse que nous avons, avec Sciences-Po et l'Agence pour l'égalité des chances ,organisé en novembre dernier un colloque à Sciences-Po en invitant tous les dirigeants des partis politiques pour qu'ils s'expliquent sur cette question.  
Je dois dire que tous les partis étaient représentés, mais pas au même niveau. Seuls le Parti communiste et les Verts avaient délégué leur principal responsable, et je suis moins optimiste sur l'avenir immédiat de la représentation politique de la diversité que sur celui du paysage audiovisuel. Autrement dit, c'est à la société civile maintenant de jouer.  
Albert : Etes-vous favorable à des quotas de Français issus de l'immigration en politique ?  
Blandine Kriegel : Absolument pas, et je vais vous expliquer pourquoi. Lorsqu'on propose des quotas – et le plus souvent il s'agit de quotas ethniques –, on suppose que les quotas sont nécessaires pour pallier des compétences insuffisantes. Or le problème n'est pas là.  
En politique comme ailleurs, c'est-à-dire dans la vie professionnelle, nous avons de très nombreux compatriotes issus de l'immigration qui ont toutes les compétences pour les carrières qu'ils ambitionnent. Ils n'y réussissent pas, non en raison de leurs insuffisances mais à cause des obstacles qu'ils rencontrent et des blocages qui leur sont opposés. Il n'y a pas besoin de quotas, il suffit d'avoir une volonté politique.  
Nawel : Ne pensez-vous pas que le fait que l'intégration en France soit en panne est dû en grande partie au fait que l'Etat a parqué ses différentes populations dans des ghettos où ils ne sont plus qu'entre eux, sans pratiquement aucun contact avec la population dite "française de souche" ?   
Blandine Kriegel : La ghettoïsation d'une partie de nos compatriotes issus de l'immigration est en effet une des causes majeures des problèmes d'inégalité devant l'emploi et la réussite dans notre pays. Mais je ne crois pas qu'elle soit le résultat d'une volonté délibérée ou malicieuse.  
Hélas, les choses se sont faites sans qu'on y prenne garde. Qui aurait imaginé il y a une cinquantaine d'années que les cités nouvelles avec des appartements plus modernes, mais sans qu'on ait réfléchi à l'urbanisme, à l'échange, à la dimension civique, deviendraient ce qu'elles sont devenues ?  
Ce qu'on peut faire aujourd'hui, c'est ce qu'a mis en place la loi Borloo de programmation et de cohésion sociale, c'est d'attaquer pour la faire céder, cette ghettoïsation, par toutes les entrées en remettant des équipements, de l'emploi, de l'éducation dans ces cités.  
Selon nous, nous devons aussi nous appuyer sur les parcours de réussite pour proposer des modèles de sortie et d'échange. Nous avons proposé, et nous en sommes fiers, la mise en place des apprentissages et de la formation professionnelle junior pour sortir les plus jeunes de la spirale de l'échec.  
Mike : L'acceptation de la culture de la minorité est inhérente au processus d'intégration de ces minorités. Avez-vous l'intention de mettre en valeur les différentes cultures qui composent le paysage de la France ?  
Blandine Kriegel : Il le faut absolument. Il n'est pas acceptable dans un pays comme le nôtre qui connaît maintenant la présence de compatriotes venus de loin que nous demeurions ignorants par notre formation scolaire, universitaire, nos programmes culturels de la culture de continents dont les enfants sont maintenant parmi nous.  
Je constate d'ailleurs que personne ne le remettrait en question dès lors qu'il s'agit des aspects culturels des plus quotidiens, comme la cuisine (nous sommes très contents de manger différemment, nous qui sommes un peuple de critiques culinaires), ou des aspects culturels les plus élevés comme l'art (chacun a pu observer l'extraordinaire succès du Musée des arts premiers).  
Le temps est venu, par exemple, de donner une place beaucoup plus considérable à la culture antillaise, qui a produit la littérature française la plus brillante de notre époque.  
Mais, cela dit, cela ne signifie pas, encore une fois, que cette reconnaissance de la diversité culturelle, c'est-à-dire cette acceptation et cette exaltation du multiculturalisme, doit nous conduire au communautarisme et à rejeter des lois communes transcendantes aux diverses cultures d'origine. Cette conséquence, qui est tirée par exemple par le mouvement communautarien aux Etats-Unis, peut parfaitement être évitée en France.  
Nous avons construit notre unité politique républicaine à partir d'une diversité déjà très grande, de pays, de provinces, de peuples... Nous devons la reconstruire aujourd'hui de la même façon ; autrement dit, ce que l'intégration républicaine demande, ce n'est pas de renoncer à la diversité culturelle, mais c'est d'accepter cette diversité culturelle en gardant au-dessus d'elle un espace public commun.  
Concrètement, cela veut dire qu'à l'école, il faudrait à la fois faire une place beaucoup plus grande à la diversité des cultures (Orient, Extrême-Orient) et dans le même temps faire une place beaucoup plus grande à la connaissance de notre droit politique républicain. Pour l'instant, on ne fait ni l'un ni l'autre.  
Bbb : Ne pensez-vous pas qu'il serait plus pertinent et plus légitime de désigner à votre place un "Beur" pour "montrer le chemin" et donner l'exemple ?  
Blandine Kriegel : Mais j'espère bien qu'il y aura prochainement un Beur à la présidence du Haut Conseil à l'intégration. J'en connais qui seraient parfaits.  
Chat modéré par Constance Baudry

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